Citad’elles : l’information au féminin au-delà des barreaux
Primé aux Assises du journalisme de Tours 2018 par le ministère de la Culture, le projet Citad’elles propose aux détenues du centre pénitentiaire de Rennes de réaliser une revue trimestrielle dans des conditions professionnelles. Le point sur cette initiative unique en Europe.
Donner la parole à des femmes qui en ont toujours été privées : telle est l’ambition du projet Citad’elles qui permet à un groupe de détenues en longue peine du centre pénitentiaire de Rennes de réaliser un magazine féminin de qualité professionnelle. Créée en 2012 par l’association « Les établissements Bollec », en collaboration avec la ligue de l’enseignement - qui bénéficie du soutien du ministère de la Culture pour ses actions dans le cadre du programme culture-justice - Citad’elles est une véritable publication trimestrielle d’une cinquantaine de pages distribuée dans la prison de Rennes et mise à disposition du grand public par le biais de son site.
Citad’elles, un magazine aux exigences professionnelles
« En 2012 nous avons animé un atelier fanzine à la maison d’arrêt des hommes. C’était bien mais nous avons eu envie de proposer une activité qui s’inscrive dans la durée et aussi de nous approcher au plus près des exigences professionnelles d’un journal », raconte Alan Faure, dessinateur-graveur au sein des Établissements Bollec, un collectif qui propose depuis 2005 une approche décalée du dessin, du graphisme, de la bande dessinée et du journalisme. Avec Anne Héloise Botrel, coordonnatrice des activités culturelles du centre pénitentiaire des femmes, le projet est monté.
Encadrées par des intervenants extérieurs professionnels issus de la presse, du graphisme et de l’illustration, les détenues qui travaillent sur Citad’elles conçoivent entièrement le magazine : elles choisissent leurs sujets, organisent les interviews, écrivent et illustrent tous les articles. Les thèmes évoqués sont variés et vont bien au-delà de la vie en prison, touchant à la santé, la cuisine, la culture, la sexualité ou encore l’écologie. Fortes de leur aptitude à s’abstraire du quotidien, les détenues ont même développé une rubrique « café philo » avec, dans le numéro 13 du magazine, un article intitulé « Le temps, allié ou ennemi » ?
Une aventure humaine qui valorise les détenues
Pierre-François Lebrun a réalisé en 2017 « Feuilles Libres », un documentaire en cinq épisodes sur Citad’elles. Il avoue avoir été séduit par la liberté de ton, la diversité des sujets et la profondeur des propos de la publication. « On trouve à la fois dans Citad’elles ce que l’on trouve dans un magazine féminin classique, mais aussi une dimension plus grave, un supplément d’âme lié au contexte de sa création », observe-t-il. Plus qu’un magazine, Citad’elles est une aventure humaine qui fait la part belle aux échanges, aux débats, au travail collectif. En valorisant la parole des détenues et en laissant libre cours à leur esprit critique, elle leur permet de retrouver l’estime de soi. « Avec Citad’elles, j’ai trouvé une liberté d’expression. Quand on écrit pour le magazine, on a l’impression qu’on s’appartient. Cela nous permet de nous ouvrir », témoigne Catherine, l’une des rédactrices du magazine.
Ce projet artistique et culturel innovant permet aux rédactrices de développer leurs capacités d’expression écrite et graphique. « J’ai appris à poser des questions, à mener une interview, à prendre des notes rapidement, à trouver la bonne formule. On est toutes très investies et au fur et à mesure qu’on s’améliore, l’équipe nous suit dans notre progression. On grandit », affirme Jessica, une autre détenue. Cette initiative exceptionnelle, unique en Europe, a été récompensée par le ministère de la Culture qui lui a remis le prix Éducation à l’information, catégorie presse associative, lors de la troisième édition des Assises du journalisme de Tours.
Le numéro 15 (hiver 2017) de Citad’elles « Soyez Reine » est librement consultable en ligne.